Pétronille, femme hantée

Publié le par Petronille

Le 16e arrondissement, c'est un peu comme une terre de vieille noblesse au XVIIe siècle : les habitants font en sorte de ne pas avoir la même couleur de peau que le commun des mortels, ils ne saluent pas ceux qu'ils considèrent comme leurs inférieurs (c'est-à-dire tout le monde, et surtout pas la boulangère), ils vont à la messe le dimanche et possèdent leur lot de revenants.

Comme dans tout manoir crotté qui se respecte, pourvu d'un grenier sombre et grinçant fréquenté par le spectre d'un ancêtre décédé de mort violente et traîtreuse (et bien souvent par la faute d'une femme, comme l'on sait), l'immeuble de Pétronille abrite lui aussi des phénomènes étranges. Et que celui qui n'a pas passé des nuits blanches après avoir vu l'Exorciste par un soir d'orage en compagnie d'une petite soeur somnambule à l'âge de 14 ans me jette la première pierre.

Vous savez, lecteurs, que Pétronille passe actuellement ses journées à travailler chez elle, avec pour seule compagnie un ordinateur vif comme l'éclair et une montagne de chocolats laquelle se plaît à jeter des coups d'oeil narquois aux haltères poussiéreuses recroquevillées sur l'étagère. Elle a donc tout le loisir d'observer les choses mystérieuses qui se déroulent entre ses quatre murs.

Mais jugez plutôt et dites-moi si vous ne trouveriez pas tout cela étrange :

1.Commençons par le mystérieux joueur de Greensleeves au flûtiau. Premier mystère, et non des moindres : comment se fait-il qu'à force de jouer cette même ritournelle tous les jours de 10 à 19 heures sans interruption, il persiste à jouer aussi mal ??? Ne devrait-il pas avoir fait au moins un petit progrès ? Ou changer de répertoire ? Ou s'essouffler quelque peu au bout de ces longues heures de répétition intensive ? N'est-ce pas la meilleure preuve de l'existence du Diable, qui se plaît à torturer ainsi les Pétronille pécheresses ?

2. A cela s'ajoutent les bruits de pas et de portes qui claquent, en provenance de la chambre située juste au-dessus de l'habitation pétronillesque. Bruits d'autant plus étonnants que la chambre en question est depuis 6 ans laissée à l'abandon par son propriétaire, un homme âgé qui n'a plus la force de se coltiner la vie parisienne (ou plus les moyens de se payer du fond de teint orange de qualité) et reste sagement dans sa maison de banlieue à nourrir ses chats en se repassant l'intégrale des Derrick sur son magnétoscope tremblotant.

(bref).

La chambre du 6e est donc on ne peut plus inhabitée, voyez-vous, lecteurs bien-aimés. Et Pétronille peut d'autant plus en témoigner que suite à une fuite d'eau, le vieux monsieur en question lui a fait remettre les clés pour qu'elle aille jeter un oeil sur le tuyau de la chaudière. Pétronille a donc pu pénétrer dans la chambrette où, une fois que ses yeux ont cessé de piquer à cause de l'odeur de renfermé, elle a pu d'un regard embrasser le décor verdâtre de la pièce, tapissée de papier moisissant, lui-même recouvert de tableaux très XIXe siècle représentant les souffrances du Christ, les sept douleurs de la Vierge (oui, mécréants et néanmoins bien aimés lecteurs, la Vierge ressentit sept douleurs au cours de son existence, qu'on se le dise), le martyre sanguinolent et ô combien édifiant de multiples saints, à commencer par Laurent (patron des rôtisseurs, car mort sur le grill, ha ha - je ris mais c'est véridique, comme vous vous en doutez). Des branches de buis tombent en poussière çà et là, coincées derrière de gros crucifix de bois, tandis que sur les guéridons, des visages sur des photographies d'après-guerre vous lancent des regards fatigués et jaunis par le temps. Ambiance joyeuse, donc, s'il en est.  Comment expliquer, alors, les bruits de pas rapides et les grincements qui s'en échappent, puisque, à en juger par le tas de poussière, la chambre est clairement inhabitée depuis des années ?

3. Il faut également inclure les auréoles  humides qui apparaissent mystérieusement sur le plancher de ma chambre durant la nuit, et finissent par sécher sous forme de grosses taches blanchâtres, avant de se réhumidifier certains soirs sans raison apparente. A moins que mon voisin du dessous ne s'amuse à faire des ronds d'eau sur son plafond sur les coups de 4 heures du matin (mais allez savoir ce qui se passe dans la tête des voisins), je ne vois aucune explication.

Et avant que vous disiez quoi que ce soit, non l'abus de chocolat ne me donne pas d'hallucinations.

Me voilà donc avec mon petit fantôme personnel, vivant dans une cohabitation pour l'instant pacifique (bien que je sente que Greensleeves va prochainement devenir un sujet de discorde entre nous). Si jamais je suis retrouvée gisant à côté d'un paquet de chocolat non entamé (...!), je vous prie, lecteurs de mon coeur, de prévenir la police et d'incriminer le joueur de flûtiau. Merci bien.
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P
Je n'en doute pas une seconde, et du reste nous cohabitons de manière assez heureuse pour l'instant. Finalement, je me sens moins seule quand je travaille...
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D
Soyez indulgente : les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs...
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N
Mais c'est génial !!!! Qui eut cru qu'en plein XVIè des choses aussi mystérieuse se passaient???
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P
<br /> Euh...ouais... j'hésite encore quant au caractère génial de la chose<br /> <br /> (au risque de me répéter : j'aime pas Greensleeves...!!!).<br /> <br /> <br /> <br />