Grandeur et décadence de la presse féminine selon Pétronille

Publié le par Petronille

[Oui, je sais, le titre est pompeux : je me sentais d'humeur grandiloquente ce matin, c'est probablement dû à ma douleur psoatique qui rend tout plus intense]

Vous n'êtes pas sans savoir, lecteurs ô combien attentif aux péripéties pétronillesques, que j'ai enseigné plusieurs années à de délicieux étudiants (je suis actuellement en pause, mais ce n'est que provisoire). Bref, vous savez également que j'ai toujours eu des postes à des centaines de kilomètres de mon chaleureux foyer, ce qui m'a permis de découvrir de nouveaux plaisirs, comme par exemple attendre un taxi à minuit sur un quai de gare désert, dormir dans des hôtels en travaux avec veilleurs de nuit libidineux compris dans le prix , improviser un cours parce que j'avais oublié mes papiers à la maison, me nourrir de sandwiches à 4 euros la tranche de jambon, et passer parfois cinq heures d'affilée dans le train (changements non compris) parmi des bandes de bidasses aux hormones capricieuses.

J'ai cessé de corriger des copies dans le train depuis qu'une petite fille est venue un jour, sous le regard bienveillant de son papa, barbouiller une dissertation que je peinais à déchiffrer (au risque de me répéter : j'ai du mal avec le langage SMS) avec un gros feutre jaune fluo. Il m'a donc fallu trouver un autre passe-temps, entre deux siestes comateuses et deux contemplations rêveuses du paysage qui défile. Ce passe-temps fut, comme beaucoup de mes semblables, la lecture par le menu de la presse féminine. Non pas que je n'en lisais pas avant, mais je n'en achetais jamais. Et là, tout soudain, j'en suis venue à investir des sommes coquettes dans des dizaines de magazines différents (un à l'aller, un au retour, et cela 4 fois par semaine, faites le compte).

Le magazine féminin, lecteur, est toujours calqué sur le même modèle, mais tu le sais déjà car tu en as lu au moins un, ne serait-ce que dans la salle d'attente du dentiste (auquel cas, ledit magazine datait d'il y a 10 ans, la preuve on y parlait encore de Stéphanie de Monaco, c'est dire).

Le magazine féminin se veut à la fois frivole et intellectuel, équilibre délicat à maintenir s'il en fut. C'est pourquoi, dans les premières pages, on se donne un alibi culturel en consacrant 3 ou 4 pages à un phénomène de société, si possible horrible, concernant les femmes.

Attention, je ne critique pas ces articles, qui ont le mérite d'exister et de mettre en lumière des problèmes dont on parle peu (pas ?) ailleurs, vu que les problèmes des femmes, ça n'intéresse que la moitié de la population pourvue en oestrogènes, l'autre moitié préférant argument sur le nom du possible remplaçant de Domenech, qui va bien finir par être viré un jour, tout de même (oui, bien sûr que je caricature).

Bref, une fois notre bonne conscience apaisée par une juste indignation, on peut passer à la suite, en tournant moult pages de pubs où une actrice de 55 ans mais qui en fait 16 vante les mérites de sacs à main dont un seul équivaut à peu près à dix ans de scolarisation d'une petite fille au Cambodge. Et nous passons à des rubriques plus proches de nos préoccupations quotidiennes, à savoir la mode, la bouffe, les mecs, car nous ne sommes finalement que de faibles petites choses superficielles.

Il faut savoir, n'est-ce pas, que le magazine féminin est un produit parisien. Les journalistes sont des parisiennes branchées qui emploient donc dans la vie courante des mots que nous, pauvres provinciales, ne pouvons rêver ajouter à notre vocabulaire, comme "hype", "fashion", "über"** (mais attention, d'une semaine à l'autre, certains de ces termes peuvent devenir ringards, enfin je veux dire "out", voire "pas glop"). Les témoignages sont toujours ceux de femmes qui travaillent dans la pub, dans les relations publiques, dans le domaine de l'art etc... Leurs enfants s'appellent Jean-Pacôme, François-Ulysse et Marie-Cerise, mais jamais Brandon ou Jessica. Elles témoignent de la difficulté à concilier la gestion d'une start-up, l'attente qu'une place dans une crèche huppée se libère, les problèmes avec la jeune fille au pair,  la lutte contre le relâchement cellulaire et les suites opératoires de leur dernier lifting, les cours de taï-chi, et les fêtes dans les bars branchés de la capitale, d'autant que leur mari est souvent en déplacement à Hong-Kong .

Le magazine féminin se décompose donc comme suit (l'ordre peut varier) :

- quelques potins sur les stars, qui sont appelées par leur prénom (ça s'appelle du "naming"). Et surtout un décryptage en règle de la dernière tenue de Kate, Kirsten ou Sienna alors qu'elle allait s'acheter un pot de crème glacée un dimanche après-midi. C'est là que la lectrice se met à trembler, car elle sait que si cette fichue Kate sort un jour vêtue en tout et pour tout d'un string rouge et de bottes en peau de mouton, le lendemain les Champs Elysées seront couverts de filles arborant négligemment ce petit ensemble, sans se demander si elles n'ont pas un peu l'air con, tout de même, d'autant que rares sont les filles de plus de 14 ans qui peuvent rentrer dans les vêtements de Kate sans avoir l'air ridiculement boudinées (moi y compris, évidemment). Combien de filles trouvent vraiment joli et vraiment flatteur les leggings en simili-cuir ultra-moulants, franchement, de qui se moque-t-on ?

- la rubrique mode, bien sûr. La rubrique mode, c'est une suite de photos superbes où une fille de 14 ans tire la tronche dans des vêtements de luxe que toi lectrice ne pourrait te payer qu'en revendant un, voire deux, de tes reins sur Internet. De toute façon, ces vêtements ne se trouvent qu'à Paris, bien entendu, voilà qui évite les tentations. D'autant que les photos sont artistiques, donc souvent floues. Jetant un oeil à la description des vêtements au bas de la page, tu lèves un sourcil étonné car tu as devant toi une fille cadrée jusqu'aux épaules, et pourtant on te donne la marque du slip, des chaussettes, des chaussures et du pantalon qu'elle porte quelque part dans un autre espace temps. Ca te fait une belle jambe, toi tu ne vois qu'une grosse écharpe (pardon, un "pashmina"). Parfois, on te propose une page "mode à petits prix", où tu peux te faire une tenue complète pour moins de 3000 euros : ainsi si tu ne manges pas pendant environ 200 jours et que tu cumules deux emplois, tu pourras t'offrir cette chapka en poil de vison sauvage facile à porter en toute occasion qui te donnera un air de top model blasé, fort utile pour faire la queue au supermarché à heure de pointe.

- la rubrique régime suit de près, histoire que dépitée par la vue de toutes ces côtes saillantes et de ces cuisses retouchées sur Photosh*p, tu décides solennellement de ne plus jamais manger autre chose que des pommes et du tofu. Les régimes varient selon les saisons : il y a celui destiné à maigrir avant les fêtes pour resplendir au-dessus de la dinde aux marrons, puis celui pour maigrir après les fêtes afin d'éliminer cette foutue dinde qui est restée stockée sur tes cuisses. Sans oublier le régime pré-maillot de bain et le régime spécial rentrée. Selon tes préférences, lectrice qui te juge obèse alors que tu portes du 38, tu peux choisir entre différentes sortes de régimes, ce qui est interdit dans l'un étant accepté dans l'autre. Il te faudra cependant reproduire à l'identique les recettes proposées par le magazine, à base de produits qui t'obligeront à courir les épiceries spécialisées, voire à les commander sur Internet, parce que ton supermarché ne sait même pas que ça existe. Mais si tu as un jardin, tu peux faire pousser ta propre luzerne, c'est toujours ça d'économisé. Méfiance tout de même quant au régime "boire trois litres de thé vert par jour" qui t'obligera à sautiller sur place pendant que tu fais cours en plein amphithéâtre, voire à t'enfuir lâchement sur un prétexte fallacieux à peu près toutes les 7 minutes, sous le regard déconcerté bien qu'endormi de tes étudiants.
[ceci est un exemple totalement inventé, car je déteste les régimes et je n'en fais jamais, peut-être parce que je suis incapable de résister au moindre éclair au chocolat qui me fait de l'oeil dans la vitrine d'une boulangerie]

- ironiquement, vient ensuite la rubrique cuisine, avec photos en gros plan de pot-au-feu fumant, de tagine aux fruits confits, de tarte aux pommes caramélisées, de fondants au chocolat. Rien que de les regarder, le bouton de ton pantalon a sauté et tu sens que tu vas envoyer le chien pisser sur ta culture de luzerne...

- ... d'autant que dans la rubrique "comment garder notre homme", on nous conseille vivement (en plus de lui répéter combien il est merveilleux, d'être gentille avec sa mère, et de fermer les yeux sur sa nuit torride passée avec notre ex-meilleure copine) de lui mitonner de bons petits plats (si possible vêtue d'une nuisette).

- pour les célibataires que la rubrique précédente n'intéresse que peu, finalement, et ferait même plutôt grincer des dents, il y a tout de même les interviews de sociologues et de psy qui affirment que le célibat n'est pas une tare, non, d'ailleurs ne parle-t-on pas de "célibattantes" ? S'ensuit un comparatif des derniers sex-toys, si possible en forme de rouge à lèvres ou de mascara car le mot d'ordre du magazine est "glamour toujours", ne l'oublions pas.

- la plupart des magazines comportent également une interview de star, invariablement décrite comme étant "toute simple" dans la vraie vie, "à peine maquillée", et vraiment trop sympa. Elle reçoit les journalistes, en toute simplicité donc, dans sa luxueuse suite avec vue sur la Tour Eiffel pour leur expliquer combien la maternité a transformé sa vie, et combien il est bon d'avoir à présent une vraie raison de se lever le matin, ce que la lectrice de base ne savait vraisemblablement pas avant la lecture de cet article édifiant. Par contre, elle refuse d'évoquer sa vie amoureuse, qui est privée, et de parler de son dernier film/disque pour laisser la surprise au futur spectateur/auditeur. Heureusement elle consent gracieusement à donner le nom de sa crème de jour et de révéler sa recette miracle pour avoir des cheveux brillants : elle n'aura pas été interviewée pour rien.

- enfin, enfin, l'horoscope, tant attendu. Il est gentiment précisé que les prédictions sont faites pour les signes purs, mais que personne n'appartient à un signe pur, puisque notre thème astral varie selon l'heure, le lieu, la jour de notre naissance, sans parler du signe lunaire. Donc il est vivement recommandé d'appeler un numéro de téléphone à 30 euros la minute grâce auquel, en 1h30, on pourra déterminer avec précision notre ascendant. Ainsi, l'on pourra obtenir des prédictions affinées, de type "vous vous sentez moins déprimée" - ouf, j'ai bien fait de lire mon horoscope sinon je ne me serais cru déprimée alors qu'en fait, non.

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** En me relisant, je découvre que mon article est déjà démodé, puisqu'il semblerait qu'aujourd'hui on ne dise plus "fashion" mais "trendy".  Il paraît que le nouveau mot à la mode est "buzz", quoi que cela puisse bien signifier...?...?
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P
Cher Touly, faites gaffe quand même, vous rendriez mon blog presque tendance avec de telles expressions...
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T
Je ne suis pas germanophone, mais je crois que über veut dire "au dessus". über fashion = top fashion.<br /> über under, néologisme que je me suis permis d'inventer. En dessous de tout par exemple.
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P
Hourrah et alleluia et toute cette sorte de choses, merci Damien de m'avoir apporté vos lumières (mon nouveau défi est de réussir à placer l'expression dans une conversation).Merci Suzanne, je le prends comme un compliment, bien sûr.
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S
Joli billet, PetronElle...Eh bien moi je trouve que votre blog est très "presse féminine", dans ce que la presse féminine a de meilleur.
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D
Excellent, il m'arrive de lire "Elle", c'est exactement ça. En fait, ces magazines fonctionnent comme le porno : leur but, c'est de nourrir le fantasme de la lectrice (la minceur, la richesse, la célébrité...)Bon sinon, "über" littéralement c'est "sur" en allemand, comme "super" en latin, donc c'est juste un superlatif passe-partout. "ûber under"'est un oxymore, je traduirais par "super nul". Oui, j'ai été prof y a longtemps...
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